Samedi 4 décembre

Farniente et bronzette, on dépasse aujourd'hui le cap des 1000miles restantes à parcourir. C'est une des grandes motivations de nos journées : se projeter peu à peu sur l'avancée de la traversée, et parier avec un peu plus de certitudes sur le moment de notre arrivée sur les terres Antillaises. Les nouvelles ne sont pas très bonnes : il semble que les grèves et les émeutes ne s'améliorent pas en Guadeloupe et en Martinique, et Christian a aussi appris que les frontières du Venezuela étaient fermées par les autorités, à l'approche des élections presidentielles. Christian a des amis qu'il peut joindre grâce à son téléphone satellite, en Martinique et à Puerto la Cruz au Venezuela.


Les repas du midi et du soir sont, en bonnes françaises, nos préoccupations majeures. Comme disait un certain auteur, le monde mange pour vivre et les français vivent pour manger. Eh oui, cette règle s'applique tout aussi bien au milieu de l'océan Atlantique. Nous n'avons pas encore épuisé nos recettes de salades les plus imaginaires (oui la salade de riz et la salade de pâtes sont des grandes classiques, mais la salade de lentilles, la salade de haricots verts, la salade grecque, sont de délicieuses alternatives). Parmi les recettes un peu plus sophistiquées, Juju en fière bretonne, nous a concocté un délicieux repas de crêpes. Utilisant l'astuce des cèpes déshydratées, nous avons aussi cuisiné de succulents risotto, et enfin des falafels de haricots. Yummyyy !

Nous ne manquons jamais un apéro, plutôt sous forme solide pour Juliette et moi, pour accompagner Christian qui est plus fidèle à sa forme liquide. Oui, le vieux marin est plus fidèle à sa cave qu'à tout le reste. Cette règle a été savamment vérifiée pendant notre aventure partagée avec Christian : à 10h ( à l'horloge qui donne l'heure du Cap Vert, mais qui ne tient pas compte du décalage horaire croissant jusqu'à 4h, en partant plein ouest vers la Martinique), il ouvre sa canette de Dorada, chaude car c'est meilleur comme ça, selon lui seul. Il oublie rarement de nous demander la permission, car c'est un garçon poli. A midi (toujours à la même horloge), il sirote une sorte de pinte de Martini, blanc ou rouge selon les jours. Le repas est ensuite arrosé d'un généreux verre de vin mis en bouteille par ses soins, issu des meilleurs crus de cubis espagnols. Puis il couronne cette dégustation par un grand verre de whisky, la fameuse boisson des hommes. Ce rythme effréné reprend à partir de 16h. Et Juju de lui proposer avec amusement, de temps en temps, comme pour vérifier un vieux mécanisme mis en place entre nous 3 depuis le 14 novembre, jour de notre rencontre "tu es sûr que je ne te sers pas un verre d'eau?", à quoi il répond machinalement "comme j'ai une santé de fer, mon médecin m'a fortement déconseillé d'en consommer, de peur de rouiller". Le lecteur comprendra ici nos quelques angoisses quant à la tenue à long terme de cette santé de fer, du foie et du cœur du bonhomme...



Jeudi 9 décembre - Rencontre mémorable

Occupée à buller en observant la mer et le ciel qui m'entourent, en écoutant les vagues qui rythme notre avancée un peu réduite faute de vent, j'aperçois un gros aileron très noir, sur l'arrière bâbord bâbord bateau. Je me dresse d'un coup, saisissant mon téléphone, appelant Juju qui est occupée à faire à peu près la même chose que moi, sur le côté tribord du bateau. Je me demande ce que je vois, mais je n'hésite pas longtemps : ce sont des orques !! Ces animaux puissants, au pelage noir et blanc magnifique, plutôt réputés méchants ! Ils jouent dans les vagues derrière le bateau, surfent quelques minutes, puis passent sous le bateau avant de disparaître furtivement. Cette rencontre m'a procuré beaucoup de sensations : on se sent si petits en tant qu’homme (que femme), sur ce voilier, face à ces grands animaux marins qui surgissent, nagent à contre courant, s'enfoncent dans les profondeurs de l'océan qui sont leur univers, en un clin d'œil.


Nous faisons une petite séance de sport à l'avant du bateau, grâce à une application mobile, au coucher du soleil, pour s'imprégner des dernières douces lueurs de cette journée.



Vendredi 10 décembre 

Nous avons dormi dans le cockpit avec Juju, enroulées dans nos duvets. Nous profitions d'une des dernières nuits de cette voute céleste infinie rien que pour nous.

Vers 5h, l'aurore naît tout doucement, et le soleil pointe le bout de son nez à 6h précises (ça y est, nos pendules sont à l'heure matiniquaise !). Nous apercevons une voile à l'horizon qui fait le même cap que nous et nous double tout doucement. En milieu de matinée, elle disparaîtra de l'autre côté de l'horizon, nous ouvrant la voie vers les côtes martiniquaises (ou une autre île antillaise qui sait?). C'était un voilier finlandais. J'imaginais que le trafic se ferait un peu plus "dense" à proximité des Antilles. Mais c'est le seul bateau que nous croisons depuis plusieurs jours, et quasiment le dernier jusqu'à l'arrivée !

Nous sommes tellement en quête d'activités, que nous organisons de nettoyer et dé-saler le pont. Il faut dire qu'il se transforme en un rien de temps, en marais salant, sur lequel on prélève aisément une fleur de sel de l'Atlantique authentique ! Mais ça n'est pas de toutconfort quand il s'agit de faire un bain de soleil ou quelques mouvements de sport sur le pont.


Au point journalier, il nous reste 230 miles à effectuer avant d'atteindre la pointe Sud de la Martinique, et ainsi rejoindre le port du Marin, puis, enfin, la terre ferme... Le ty Punch se rapproche d'heures en heures... et pourtant, une envie de profiter de ces derniers instants au milieu de l'océan, persiste. Car j'ai très hâte d'arriver, pour boucler cette transatlantique, poser pied en terre antillaise, et puis voir la suite du voyage (tant attendue!) arriver, mais en même temps j'ai conscience que la quiétude de l'océan, cette longue parenthèse au gré des éléments, horsdeu tumulte de la société, est une chance inouïe dans ce monde où tout va si vite, dans ma petite vie où le programme de chaque journée, chaque semaine, chaque week-end, est scrupuleusement rempli !


Le vent a faibli depuis ce matin, nous marchons à moins de 5 nds, ce qui décale notre arrivée hypothétique au port : plutôt dans la journée de dimanche ! Décidément, la mer est une école de patience et d'humilité !



Samedi 11 décembre 

Christian a repéré 2 amorces de déchirures dans le génois, et préfère donc réduire la voilure pour ne pas risquer de déchirer complètement la voile.

Le vent est toujours faible, donc notre vitesse stagne autour de 4,5nds. Cette journée sera de toute façon la dernière passée totalement en mer !


Le soleil se souche derrière une large bange nuageuse grise, les lueurs du soleil couchant sont d'un camaïeu orangé fabuleux, comme pour saluer avec panache cet ultime coucher de soleil en mer !

Nous apercevons deux voiles au loin, dans l'après-midi : plus de doute possible, la terre est proche !

Nous estimons uns arrivée à la pointe Sud de l'île autour de 7h du matin, et un accostage au port du Marin dans la matinée, si nous y trouvons une place libre au ponton !!